« Faire de sa vie une œuvre d'art », tel semble être l'impératif inconscient adressé à tout être humain depuis le vingtième siècle. Ainsi, cette esthétique de l'existence rappelée par Michel Foucault, apparaît comme une injonction, une aspiration où un questionnement pour chaque individu de nos sociétés post-modernes.

Face à cette impératif, chaque existence se voit interrogée dans sa dimension créative, son originalité et son unicité.

Or, c'est précisément à ce questionnement que la rencontre thérapeutique, et plus particulièrement, l'accompagnement par l'hypnose éricksonienne se propose de pourvoir. 

 Théorie de la créativité

« La plupart des critiques sérieuses dirigées contre notre culture peuvent se résumer en ces termes : « manque de créativité » […]

L’éducation tend à former des individus conformistes, stéréotypés, qui ont « achevé » leur éducation, plutôt que des penseurs librement créateurs et originaux.

Dans nos loisirs aussi, les distractions passives et collectives l’emportent de façon écrasante sur les activités créatrices. […]

Il en est de même dans notre vie familiale, dans notre manière de nous habiller, de nous nourrir, de choisir nos lectures, d’avancer des idées … ; partout nous retrouvons une forte tendance au conformisme et aux formes stéréotypées. Comme s’il était « dangereux » d’être original ou différent. »

Soulignant la nécessité de s’adapter à un monde en mouvement, Carl Rogers vise à décrire le processus créateur dans toutes ces modalités d’expression. Sa conclusion laissant apparaître, que quelque soit ses orientations (artistiques, scientifiques, industrielles, thérapeutiques et autres) le processus créateur correspond toujours à « l’émergence dans l’action d’un produit relationnel nouveau, qui se détache de la nature unique de l’individu d’une part, et des événements, des personnes ou des circonstances de sa vie d’autre part ».

Il résulte de cette analyse que toute création, en tant qu’innovation, émerge de l’adéquation entre un individu, un environnement et une action.

Ainsi cette « théorie de la créativité » s’avère être éminemment féconde pour ce qui est de l’accompagnement thérapeutique, et en particulier de l’utilisation de l’hypnose éricksonnenne dans cette accompagnement.

Car s’il est une évidence en hypnothérapie, c’est bien de s’attacher aux ressources et au potentiel créatif de la personne se présentant au thérapeute. L’objectif, au-delà de la sortie de l’ancrage cristallisé en pathologie, est symbolisé par cette ouverture aux champs des possibles imaginé par la personne.

La souffrance psychique comme « rupture de créativité »

Toutes pratiques et théories en psychologie clinique postule cette sortie de l’enferment par le sujet. Pour cela elles impliquent l’établissement d’un « cadre thérapeutique », symbolisant, avant tout chose une Rencontre et une « re-connaissance ». 

Toutefois, l’hypnose éricksonienne agrémente cette Rencontre de modalités créatives, et créatrices, supplémentaire.

En effet, la médiation par le corps et par tous les registres sensoriels de la personne, nous entraînent à aborder de nouvelles temporalités et de nouvelles dimensions spatiales. Entendons bien qu’il ne s’agit nullement de nous égarer dans d’hypothétiques considérations métaphysiques et spirituelles, souvent prétextes à l’affirmation de dogmes. Notre démarche s’attache au bien-être de la personne et surtout à l’expression de son autonomie. Le psychologue accompagne, mais jamais ne dirige. L’hypnothérapeutique, plus encore, se doit de s’effacer au profit de la mise en place d’un langage sensoriel inconscient apte à libérer les ressources de la personne.

Cette atmosphère pluri-sensorielle doit permettre à la personne de se projeter au-delà de « l’entonnoir » traumatique ou anxieux dans lequel elle était, jusqu’à présent maintenue.

Or, c’est par le bais de ce dialogue sensoriel inconscient, développé à partir de la Rencontre avec l’hypnothérapeute, que nous entrevoyons les modalités artistiques de l’hypnose thérapeutique.

Ainsi, cette Rencontre ne postule pas de « patient », ni de doctes leçons mais bien deux individus caractérisés par leur unicité. Une Rencontre où l’un des deux (le thérapeute) se met au service de la reconnaissance de la diversité d’expression de l’autre.

L'hypnose thérapeutique : lieu nodal

C’est dans cet espace que la Rencontre thérapeutique trouve sa proximité avec la démarche artistique. Toutefois, cette proximité s'inscrit bien au-delà d'une simple rencontre « spectrale », mettant en œuvre ce très élaboré « jeu de miroirs ». En s'inscrivant sur le registre sensoriel de la personne, l'hypnose thérapeutique prend à son compte la pluralité des dimension de la vie humaine. Qu'il s'agisse de l'espace, du temps, ou bien des « figures de la réalité » tant dans leurs évocations conceptuelles que dans leurs interprétations individuelles.

Sur ce point le travail de Stefania Caliandro à propos des « Réflexions sur la complexité spatiale de l’art » http://epublications.unilim.fr/revues/as/1721participe à éclairer les dimensions de la Rencontre thérapeutique. Projetons nous, un instant, dans son analyse :

« Les œuvres, particulièrement par l’entremise des images véhiculées par elles, articulent le plus souvent divers espaces. Non seulement elles occupent l’espace, ou mieux elles participent à le définir, mais surtout elles présentent et représentent différents espaces dans, par et à partir d’elles. Ainsi une et seule image peut activer plusieurs espaces et devenir le lieu nodal, par exemple, d’espaces physiques, perceptifs et/ou symboliques même inconciliables entre eux. Parler d’images à propos des œuvres ne signifie pas, de mon point de vue, les aplatir à une dimension uniquement visuelle. Cette perspective ne prétend pas éluder la question des diverses sensorialités sollicitées par les œuvres, ni amoindrir l’épaisseur de leur matérialité. Songer à l’image en ces termes revient à mettre en avant l’aspect médial dont l’art est porteur, voir son potentiel d’entrelacer des espaces même conflictuels ».

L'inconscient bienveillant capable de libérer les ressources de la personne, par le biais de l'accompagnement en hypnose thérapeutique, est précisément ce « lieu nodal », carrefour des espaces physiques, perceptifs et/ou symboliques.

Afin d'illustrer ce concept de nodalité je reprendrais l'approche développée par la « géographie des transports » indiquant, qu'il « désigne l’ensemble des caractères relevant de la morphologie, des fonctionnements et des dynamiques des nœuds de transports ».

Nœuds de transports, dynamique, morphologie ; espace physique, perceptif, symbolique ; mais également tri-dimensionnalité : dans, par et à partir, tous ces termes participent à l'esquisse des contours de la rencontre thérapeutique en hypnose.

Sur ce dernier point de la tri-dimensionnalité, nous effleurons la dimension narrative de la personne, qui se plie et se déplie (pour reprendre la formule deleuzienne) au gré des allers, retours et projections entre passé, présent et avenir. Mais nous aurons l'occasion de revenir, à travers d'autres écrits, sur cette dimension narrative.

Donnée de la conscience

En effet, ce n'est pas tant la narration qui prime, mais bien la sensation, entendue comme intuition faisant sens pour la personne. Libéré du poids de la conscience, source d'anxiété, de culpabilité et d'interprétation parcellaire, le sujet pourra « expérimenter le contact avec l'autre, le non identifiable, ce qui ne peut s'appréhender que par le sensoriel ». C'est dans cet horizon que s'inscrit, entre autre, l’œuvre de Francesco FEDERICI « Data of Consciousness / Dato della coscienza / Donnée de la conscience ». Et nous retrouvons, aux détours de son installation vidéo, les interrogations de tous thérapeute confronté avec les troubles psychiques.

Ainsi, Francesco (il me sera pardonné d'être famillié avec mon cousin, puisque ce lien nous uni) démontre qu'à travers la démarche artistique « l'ambiance dans laquelle se meut le spectateur, établit son degré de participation. Il opte, dès lors, pour que les images vidéos soient travaillées de manière à ce qu'elles deviennent indéfinissables. Au point qu'il n'est plus possible de les relier à aucun lieu, ni situation précise, afin de provoquer une sensorialité intense portée par la concentration.

Notre propos quant aux modalités artistiques de l'hypnose pourrait nous conduire à penser que ce « non identifiable » suscité par la concentration, débouchant néanmoins sur du sens, ou tout au moins un « être au monde », s'apparente à l'expérience d'hypnose thérapeutique. Si toutefois cette dernière implique un positionnement, du fait de la demande formulée par le « patient », la nécessaire mise à distance des « données de la conscience » reste, également, un préambule fondamental.

Qu'en est-il du cadre identitaire de la personne plongée dans cet « éprouvé sensoriel » ? Loin de s'y perdre, il s'y libère. Alors que le conscient tranche, juge et rumine ; ce lieu inconscient au confluents du corps, de l'environnement, de l'espace et du temps ouvre à une liberté faite d'opportunités. Ces opportunités, symbolisées par les suggestions du thérapeute, réintroduisent une forme de choix, mais un choix qui pourra se déployer au grès de l'autonomie de la personne, au grès de sa créativité réaffirmée.

Où l'on comprend que les modalités artistiques de l'hypnose et les modalités hypnotiques de l'art participent d'un même élan, nourrit d'autonomie, d'intuition et de beauté.

Arnaud BUFFA

« Quand un professeur, un parent ou un thérapeute permet à l'individu une complète liberté d'expression symbolique, il encourage cet individu à la créativité. Car il lui permet d'être entièrement libre de penser, de sentir, d'être vraiment lui-même. Il l'encourage à s'ouvrir à tout un éventail de perceptions, de concepts et de significations, ce qui fait partie de la créativité. »

 Carl R. ROGERS « vers une théorie de la créativité » in « Le développement de la personne »